ROUSSEAU, Jean-Jacques (1712-1778)
Lettre autographe signée à Philibert Cramer, datée "à Motiers le 13 octobre 1764"
3 pp. in-8 (217 x 169 mm) sur 1 bifeuillet. Encre noire. (quelques taches, anciennes traces de pliures et du cachet de cire rouge, déchirure sans atteinte au texte en marge de la page portant l'adresse)
Rousseau explique l'Emile à l'éditeur de Voltaire.
Grand admirateur de l'oeuvre de Rousseau, le destinataire de cette lettre possède avec son frère la maison d'édition genevoise Cramer frères, notamment connue pour publier les oeuvres de Voltaire. Si Philibert assure dans une lettre du 26 septembre que : "il est inutile de me qualifier Libraire parce que je ne le suis plus depuis longtemps", son frère Gabriel s'occupe personnellement de la publication des oeuvres de l'ennemi de Rousseau depuis 1755. En réalité, à la date d'écriture de la lettre, cela fait seulement un an que Philibert s'est retiré du métier. Après avoir évoqué une affaire financière, Rousseau répond aux compliments que son correspondant lui a adressés : "Mes écrits ne peuvent plaire qu'à ceux qui les lisent avec le même coeur qui les a dictés. Ce dont je me glorifie en moi-même avec quelque orgueil est qu'ils me font aimer des bons et haïr des méchants. Il faut censurer mes fautes et mes erreurs ; j'en ai fait beaucoup : mais il faut aimer mes sentiments, parce qu'ils sont bons et honnêtes."
Quant à l'Emile, le philosophe s'amuse que son destinataire y ait vu une véritable source de principes d'éducation à appliquer à ses enfants. Quelques jours plus tôt, Philibert lui écrivait en effet : "si j'avois un fils, je n'en ferois pas un Emile, parce que la chose est impossible, mais je puiserois dans votre ouvrage les principes fondamentaux de son éducation" (9 octobre) Rousseau clarifie la nature du texte, plus théorique qu'il n'a vocation à être appliqué : "Vous dites très bien qu'il est impossible de faire un Emile. Mais je ne puis croire que vous preniez le livre qui porte ce titre pour un vrai traité d'Education. C'est un ouvrage assez philosophique sur un principe avancé par l'auteur dans d'autres écrits que l'homme est naturellement bon." Il explique dans quel but il a écrit l'Emile : "Pour accorder ce principe et cette vérité non moins certaine que les hommes sont méchans, il falait dans l'histoire du coeur humain montrer l'origine de tous les vices. C'est ce que j'ai fait dans ce livre souvent avec justice et quelquefois avec sagacité. Dans cette mer des passions qui nous submergent, avant de chercher à boucher la voye, il fallait commencer par la trouver."
Enfin, le philosophe nie avoir écrit un nouveau poème, feignant de ne pas comprendre que son correspondant fait allusion aux Lettres écrites de la montagne, qui paraîtront chez Rey en décembre, et dont Philibert a sans doute eu vent via son frère Gabriel, lié au libraire de Rousseau : "Tout le monde me fait compliment sur un prétendu poëme en prose qu'on dit que je fais imprimer, folie à laquelle assurément je ne songe pas. Je dois être guéri de la fantaisie de la presse ; mais si jamais elle me reprend soyez sur, Monsieur, que vous ne serez pas oublié."
Leigh, XXI, n° 3564.
Rousseau explains l'Emile to Voltaire's publisher, arguing that it is merely philosophical and not meant as a manual to raise one's children. The Cramer brothers owned the Geneva-based publishing house "Cramer frères": Philibert explains that he is no longer a publisher but his brother Gabriel personally handles the printing of Voltaire's books since 1755. Rousseau is surprised and amused that Philibert thinks of l'Emile as a practical text: "You say very well that it's impossible to make an Emile. But I cannot believe that you take the book that bears that title to be a true treatise on Education. It's a rather philosophical work on a principle advanced by the author in other writings, that man is naturally good."
ROUSSEAU, Jean-Jacques (1712-1778)
Lettre autographe signée à Philibert Cramer, datée "à Motiers le 13 octobre 1764"
3 pp. in-8 (217 x 169 mm) sur 1 bifeuillet. Encre noire. (quelques taches, anciennes traces de pliures et du cachet de cire rouge, déchirure sans atteinte au texte en marge de la page portant l'adresse)
Rousseau explique l'Emile à l'éditeur de Voltaire.
Grand admirateur de l'oeuvre de Rousseau, le destinataire de cette lettre possède avec son frère la maison d'édition genevoise Cramer frères, notamment connue pour publier les oeuvres de Voltaire. Si Philibert assure dans une lettre du 26 septembre que : "il est inutile de me qualifier Libraire parce que je ne le suis plus depuis longtemps", son frère Gabriel s'occupe personnellement de la publication des oeuvres de l'ennemi de Rousseau depuis 1755. En réalité, à la date d'écriture de la lettre, cela fait seulement un an que Philibert s'est retiré du métier. Après avoir évoqué une affaire financière, Rousseau répond aux compliments que son correspondant lui a adressés : "Mes écrits ne peuvent plaire qu'à ceux qui les lisent avec le même coeur qui les a dictés. Ce dont je me glorifie en moi-même avec quelque orgueil est qu'ils me font aimer des bons et haïr des méchants. Il faut censurer mes fautes et mes erreurs ; j'en ai fait beaucoup : mais il faut aimer mes sentiments, parce qu'ils sont bons et honnêtes."
Quant à l'Emile, le philosophe s'amuse que son destinataire y ait vu une véritable source de principes d'éducation à appliquer à ses enfants. Quelques jours plus tôt, Philibert lui écrivait en effet : "si j'avois un fils, je n'en ferois pas un Emile, parce que la chose est impossible, mais je puiserois dans votre ouvrage les principes fondamentaux de son éducation" (9 octobre) Rousseau clarifie la nature du texte, plus théorique qu'il n'a vocation à être appliqué : "Vous dites très bien qu'il est impossible de faire un Emile. Mais je ne puis croire que vous preniez le livre qui porte ce titre pour un vrai traité d'Education. C'est un ouvrage assez philosophique sur un principe avancé par l'auteur dans d'autres écrits que l'homme est naturellement bon." Il explique dans quel but il a écrit l'Emile : "Pour accorder ce principe et cette vérité non moins certaine que les hommes sont méchans, il falait dans l'histoire du coeur humain montrer l'origine de tous les vices. C'est ce que j'ai fait dans ce livre souvent avec justice et quelquefois avec sagacité. Dans cette mer des passions qui nous submergent, avant de chercher à boucher la voye, il fallait commencer par la trouver."
Enfin, le philosophe nie avoir écrit un nouveau poème, feignant de ne pas comprendre que son correspondant fait allusion aux Lettres écrites de la montagne, qui paraîtront chez Rey en décembre, et dont Philibert a sans doute eu vent via son frère Gabriel, lié au libraire de Rousseau : "Tout le monde me fait compliment sur un prétendu poëme en prose qu'on dit que je fais imprimer, folie à laquelle assurément je ne songe pas. Je dois être guéri de la fantaisie de la presse ; mais si jamais elle me reprend soyez sur, Monsieur, que vous ne serez pas oublié."
Leigh, XXI, n° 3564.
Rousseau explains l'Emile to Voltaire's publisher, arguing that it is merely philosophical and not meant as a manual to raise one's children. The Cramer brothers owned the Geneva-based publishing house "Cramer frères": Philibert explains that he is no longer a publisher but his brother Gabriel personally handles the printing of Voltaire's books since 1755. Rousseau is surprised and amused that Philibert thinks of l'Emile as a practical text: "You say very well that it's impossible to make an Emile. But I cannot believe that you take the book that bears that title to be a true treatise on Education. It's a rather philosophical work on a principle advanced by the author in other writings, that man is naturally good."
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