George SAND L.A.S. «George», Nohant 25 janvier [1848], à Giuseppe Mazzini; 6 pages in-8 à son chiffre.{CR}Très belle et longue lettre à son ami le patriote italien. Elle reçoit avec reconnaissance «cette chère bague dont je n’ai pas besoin pour penser à vous tous les jours de ma vie, mais qui sera pour moi une relique sacrée dont mon fils héritera. Il en est digne, car il a la religion des souvenirs comme nous. En disant que je pense à vous tous les jours de ma vie, je ne me sers pas d’une formule vaine. Je mentirais si je disais que je pense tous les jours à tous mes amis. Mais, comme les chrétiens ont certains bienheureux de préférence auxquels ils s’adressent chaque soir dans leurs prières, je puis dire que j’ai certaines affections sérieuses sur cette terre et ailleurs dont la commémoration se fait naturellement dans mon âme chaque fois qu’elle s’élève vers Dieu, dans la douleur et dans la foi. Oui, je vois bien qu’il faut que vous alliez en Italie tôt ou tard. Je sais bien que vous lui devez votre vie ou votre mort. C’est notre lot à tous de vivre ou de mourir pour nos principes. Pour vous, l’éventualité est plus prochaine en apparence que pour nous. Ce n’est pas moi qui vous dirai de craindre la souffrance, de reculer devant les périls, et d’éviter la mort. Je vous le dirais d’ailleurs, sans vous ébranler. La douleur et l’effroi qui me serrent le cœur à cette idée, je ne dois même pas vous en parler! Mais vous seriez mon propre fils que je ne vous détournerais pas de votre devoir. Que nos amis soient parmi nous ou dans une meilleure vie, nous les sentons toujours en nous et nous les aimons de même, nous nous sommes dit cela l’un à l’autre et nous le pensons bien profondément. Pourtant, cette idée de séparation ici-bas répugne à la nature, et le cœur saigne malgré lui. Que Dieu nous donne la force de croire assez pour que cette douleur ne soit pas le désespoir! Mais enfin, fût-elle le désespoir, acceptons tout. L’âme a ses agonies et doit subir ses tortures comme le corps». Elle a traduit la lettre au Pape de Mazzini, et l’a «accompagnée de réflexions que je ne crois ni violentes ni subversives, mais chrétiennes et vraies». Elle a tenté en vain de la faire publier dans un journal: «je tenais à ce que votre lettre eût un certain retentissement en France, surtout dans un moment où notre Pairie vient de discuter si pauvrement la question italienne, et où le jésuite Montalembert et autres cerveaux despotiques et étroits vous ont personnellement lancé leur anathème méprisable». Le Siècle l’a refusée faute de place, «ce qui n’est qu’un prétexte pour éviter de se compromettre dans l’esprit des bourgeois voltairiens». Le Constitutionnel garde le silence. «J’ai écrit hier pour leur dire que s’ils étaient effrayés de mes idées, je les autorisais à les supprimer entièrement, pourvu qu’ils publiassent ma traduction de votre lettre. […] je suis honteuse pour la presse française, que non seulement vous n’y ayez pas un défenseur spontané, mais encore qu’on ait tant de peine à laisser entendre une voix qui s’élève dans le désert pour dire que vous n’êtes ni un jacobin ni un impie». Elle a remis le texte à Pierre Leroux, «qui va s’en occuper sérieusement dans la Revue Sociale. Il ne sera pas autant que moi de votre avis. Il rendra justice à la pureté et à l’élévation de vos idées et de vos sentimens; mais il est possédé aujourd’hui d’une rage de pacification, d’une horreur pour la guerre, qui va jusqu’à l’excès et que je ne saurais partager. Blâmer la guerre dans la théorie de l’idéal c’est tout simple, mais il oublie que l’idéal est une conquête, et qu’au point où en est l’humanité, toute conquête demande notre sang. […] Le voilà qui croit tenir la science religieuse, politique et sociale, et qui s’annonce avec beaucoup d’audace comme possédant un dogme, une organisation, un principe de subsistance. C’est beaucoup dire! Cette admirable cervelle a touché, je le crains, la limite que l’humanité peut atteindre. Entre le génie et l’aberrati
George SAND L.A.S. «George», Nohant 25 janvier [1848], à Giuseppe Mazzini; 6 pages in-8 à son chiffre.{CR}Très belle et longue lettre à son ami le patriote italien. Elle reçoit avec reconnaissance «cette chère bague dont je n’ai pas besoin pour penser à vous tous les jours de ma vie, mais qui sera pour moi une relique sacrée dont mon fils héritera. Il en est digne, car il a la religion des souvenirs comme nous. En disant que je pense à vous tous les jours de ma vie, je ne me sers pas d’une formule vaine. Je mentirais si je disais que je pense tous les jours à tous mes amis. Mais, comme les chrétiens ont certains bienheureux de préférence auxquels ils s’adressent chaque soir dans leurs prières, je puis dire que j’ai certaines affections sérieuses sur cette terre et ailleurs dont la commémoration se fait naturellement dans mon âme chaque fois qu’elle s’élève vers Dieu, dans la douleur et dans la foi. Oui, je vois bien qu’il faut que vous alliez en Italie tôt ou tard. Je sais bien que vous lui devez votre vie ou votre mort. C’est notre lot à tous de vivre ou de mourir pour nos principes. Pour vous, l’éventualité est plus prochaine en apparence que pour nous. Ce n’est pas moi qui vous dirai de craindre la souffrance, de reculer devant les périls, et d’éviter la mort. Je vous le dirais d’ailleurs, sans vous ébranler. La douleur et l’effroi qui me serrent le cœur à cette idée, je ne dois même pas vous en parler! Mais vous seriez mon propre fils que je ne vous détournerais pas de votre devoir. Que nos amis soient parmi nous ou dans une meilleure vie, nous les sentons toujours en nous et nous les aimons de même, nous nous sommes dit cela l’un à l’autre et nous le pensons bien profondément. Pourtant, cette idée de séparation ici-bas répugne à la nature, et le cœur saigne malgré lui. Que Dieu nous donne la force de croire assez pour que cette douleur ne soit pas le désespoir! Mais enfin, fût-elle le désespoir, acceptons tout. L’âme a ses agonies et doit subir ses tortures comme le corps». Elle a traduit la lettre au Pape de Mazzini, et l’a «accompagnée de réflexions que je ne crois ni violentes ni subversives, mais chrétiennes et vraies». Elle a tenté en vain de la faire publier dans un journal: «je tenais à ce que votre lettre eût un certain retentissement en France, surtout dans un moment où notre Pairie vient de discuter si pauvrement la question italienne, et où le jésuite Montalembert et autres cerveaux despotiques et étroits vous ont personnellement lancé leur anathème méprisable». Le Siècle l’a refusée faute de place, «ce qui n’est qu’un prétexte pour éviter de se compromettre dans l’esprit des bourgeois voltairiens». Le Constitutionnel garde le silence. «J’ai écrit hier pour leur dire que s’ils étaient effrayés de mes idées, je les autorisais à les supprimer entièrement, pourvu qu’ils publiassent ma traduction de votre lettre. […] je suis honteuse pour la presse française, que non seulement vous n’y ayez pas un défenseur spontané, mais encore qu’on ait tant de peine à laisser entendre une voix qui s’élève dans le désert pour dire que vous n’êtes ni un jacobin ni un impie». Elle a remis le texte à Pierre Leroux, «qui va s’en occuper sérieusement dans la Revue Sociale. Il ne sera pas autant que moi de votre avis. Il rendra justice à la pureté et à l’élévation de vos idées et de vos sentimens; mais il est possédé aujourd’hui d’une rage de pacification, d’une horreur pour la guerre, qui va jusqu’à l’excès et que je ne saurais partager. Blâmer la guerre dans la théorie de l’idéal c’est tout simple, mais il oublie que l’idéal est une conquête, et qu’au point où en est l’humanité, toute conquête demande notre sang. […] Le voilà qui croit tenir la science religieuse, politique et sociale, et qui s’annonce avec beaucoup d’audace comme possédant un dogme, une organisation, un principe de subsistance. C’est beaucoup dire! Cette admirable cervelle a touché, je le crains, la limite que l’humanité peut atteindre. Entre le génie et l’aberrati
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