Bussy-Rabutin, Roger deCopie autographe de sa correspondance croisée, et de celle de sa fille, avec Mme de Sévigné, Mme de Grignan et quelques-uns de leurs amis.[Commencée entre novembre 1675 et 1676 - Complétée et reliée après sa mort, survenue le 9 avril 1693. Les deux dernières lettres ont été retranscrites par son petit-fils, Marie Roger de Langeac]. Très importante correspondance active et passive, et de celle de sa fille, Mme de Coligny, avec Mme de Sévigné sa "belle cousine", Mme de Grignan et Jean Corbinelli.414 feuillets. Encre brune sur papier. Nombreux passages biffés, ajouts dans les marges, repentirs, certains de la main de Mme de Coligny, d’autres d’une main non identifiée.Relié en 2 volumes in-folio (284 x 200 mm). Maroquin rouge, filet doré en encadrement, armes dorées au centre des plats, dos à nerfs orné de fers dorés, roulette intérieure, tranches dorées (Reliure du XVIIIe siècle). Collation :Tome I : 178 lettres du 25 mars 1646 au 27 octobre 1679. 2 feuillets blancs, un feuillet (À la marquise de Colligny), un feuillet blanc, 226 feuillets et 1 feuillet blanc.Tome II : environ 110 lettres du 10 janvier 1680 au 31 octobre 1692. 2 feuillets blancs, 188 feuillets (les deux derniers de la main du petit-fils de Bussy-Rabutin) et 31 feuillets laissés vierges.
Exceptionnel manuscrit réalisé par Bussy-Rabutin à la demande de sa fille, Louise-Françoise de Rabutin, alors marquise de Coligny.
Conscient de la valeur littéraire des lettres de sa cousine, Bussy-Rabutin s'en fait le gardien et en quelque sorte le premier "éditeur". Ce précieux recueil servit à l'édition de référence de la correspondance de Mme de Sévigné donnée par Louis Monmerqué en 1818.
Relié aux armes Langeac, très probablement pour Marie Roger de Langeac, petit-fils de Bussy-Rabutin.
Deux épistoliers invétérés, "deux vrais Rabutin, nés l'un pour l'autre" (lettre de Mme Sévigné et Corbinelli à Bussy-Rabutin, le 17 juin 1670). Bussy-Rabutin débute son manuscrit par une épître dédicatoire à sa fille, marquise de Coligny, que : "Vous avez souhaité, ma chère fille, que je vous donnasse un recueil de ce que nous nous sommes écrit, votre tante de Sévigné et moi. J’approuve votre désir, et je loue votre bon goût : rien n’est plus beau que les lettres de Madame de Sévigné ; l’agréable, le badin et le sérieux y sont admirables ; on dirait qu’elle est née pour chacun de ces caractères […] Pour ce qui est dans ce recueil, ma chère fille, je n’en parlerai point ; je hais les airs de vanité et encore plus ceux d’une fausse modestie […] Tous les gens délicats auraient du plaisir à le lire, si on le voyait de notre temps […]".
Bussy s'attèle donc à ce recueil entre novembre 1675 et juillet 1676, puisque sa fille, Louise-Françoise de Rabutin épouse, en novembre 1675, Gilbert Alyre de Langeac, comte de Dalet, marquis de Coligny, qui meurt en 1676. Veuve, elle porte le titre de comtesse de Dalet. En juin 1681, enceinte, elle épouse clandestinement Henri-François de la Rivière. Furieux, Bussy-Rabyutin mettra tout en œuvre pour faire annuler, en vain, ce mariage.
Afin de perpétuer la mémoire de cette correspondance familiale active et passive, Bussy-Rabutin s’est appliqué à colliger, depuis son exil bourguignon, ces quelque 300 lettres.
Le recueil s’ouvre sur une lettre de mars 1646 et s’achève le 31 octobre 1692, six mois avant la mort du Bourguignon. Les deux dernières lettres ont été recopiées par le marquis de Langeac, son petit-fils. Chaque lettre est précédée de quelques mots introductifs replaçant la lettre dans son contexte et permettant ainsi une lecture plus fluide et dynamique. Les lettres sont séparées les unes des autres par une fermesse. Ce long commerce épistolaire entre les deux cousins (Bussy-Rabutin était le cousin issu de germain de Celse-Bénigne de Rabutin-Chantal, père de Mme de Sévigné), auquel s’invitèrent leurs filles "hors de pair", Mme de Grignan et Mlle de Bussy ainsi que le fidèle Jean Corbinelli, un temps secrétaire de Bussy-Rabutin, est "un lieu privilégié dans la constitution du rabutinage. On ne fait pas qu'y reconnaître l'existence d'un lien de parenté singulier. On l'active, on l'élabore et on le cultive. En effet, quoique cousins, le comte et la marquise auraient pu s'ignorer. Au contraire, et en dépit de quelques périodes conflictuelles, ils entretiennent la solidarité, la connivence et la communauté familiales. À cet effet, Sévigné et Bussy-Rabutin forment un groupe élargi d'épistoliers, qui constitue une société virtuelle, mobile et essentiellement familiale : la marquise, le comte, leurs filles, et Corbinelli qui ne manque pas d'apporter à ses compagnons l'assurance du bien-fondé de leur relation" (Yohann Deguin). "Je vous aimais toute ma vie, ma chère cousine, et nos petites brouilleries même n’ont pas été une marque que vous me fussiez indifférente […] Que ferais-je au monde sans vous, ma pauvre chère cousine ? Avec qui pourrais-je rire ? Avec qui pourrais-je avoir de l’esprit ? En qui aurais-je une entière confiance d’être aimé ? " (Bussy-Rabutin à Mme de Sévigné, à Chaseu le 5 novembre 1687). Cette gazette familiale, précieux témoignage du règne de Louis XIV, oscille entre badinages, brouilles et réconciliations, nouvelles familiales : mariages de Mlle de Bussy et de Mlle de Grignan, procès qui oppose Bussy-Rabutin à François de la Rivière, son gendre et second mari de sa fille et dont il tente d’annuler le mariage, événements historiques (les déboires de Fouquet notamment), campagnes et combats auxquels participe Bussy-Rabutin (la Fronde, la campagne d’Artois, le combat de Valencienne, les campagnes dans les Flandres sous les ordres de Turenne et en Catalogne sous les ordres du prince de Conti, la guerre de Hollande, etc.), sans oublier les bavardages incessants sur la cour et le monde littéraire, les travaux entrepris à Bussy et à Chaseu, La Princesse de Clèves qu’il a enfin lu, etc.Les liens du sang, les questions généalogiques et la mémoire familiale y tiennent une place prépondérante. Bussy est désireux d’asseoir leur lignage et le prestige de leur famille. "Nous sommes proches, et de même sang ; nous nous plaisons, nous nous aimons, nous prenons intérêt dans nos fortunes […]" (Mme de Sévigné à son cousin, Paris, 26 juillet 1668).Les deux cousins égratignent à loisir leur tante, Mme de Toulongeon, sorte de souffre-douleur qu’ils affublent tour à tour d’épithètes peu amènes. "Il est vrai que Mme de Toulongeon est incompréhensible par son avidité pour le bien. Il est vrai aussi que j'ai remarqué́ que Dieu n'attend pas à l'en punir en l'autre monde ; elle en souffre souvent dès celui-ci, et c'est elle qui m'a fait trouver que l'extrême avarice était l'extrême prodigalité […]" (Bussy-Rabutin à Mme de Sévigné le 16 octobre 1677).
Une gazette familiale. "L'écriture de l’événement familial chez Sévigné et Bussy-Rabutin est essentiellement motivée par des intérêts communs. Il s'agit d'un dialogue qui vient conforter les épistoliers dans leur position sociale et mondaine, en choisissant, pour l’affirmer, le bastion de la famille" (Yohann Deguin). De 1646 à 1666, les lettres témoignent de la carrière militaire de Bussy-Rabutin qui, à la mort de son père l’année précédente, lui succède dans la charge de lieutenant du roi en Nivernais. Il fait campagne sous Turenne puis sert le prince de Condé. "Je me suis enfin déclaré : je vous l’avois bien dit, ma belle cousine ce n’a pas été sans de grandes répugnances ; car je sers contre mon Roi un prince qui ne m’aime pas. Il est vrai que l’état ou il est me fait pitié ; je le servirai donc pendant sa prison comme s’il m’aimoit, et s’il en sort jamais, je lui remettrai sa lieutenance, et je le quitterai aussitôt […]" (Au camp de Montrond, ce 2e juillet 1650). Après une brouille de quelques mois entre les deux cousins, ce n’est qu’en 1666, lors de sa première année d’exil en Bourgogne, à la suite du scandale provoqué par la publication de son roman pamphlétaire, l'Histoire amoureuse des Gaules, que Bussy-Rabutin reprend sa plume. Il précise, en tête de la lettre écrite de Forléans le 21 novembre 1666 "depuis ce temps-là, qui a été celui de ma disgrâce, elle s’est réchauffée pour moi, et hors quelques éclaircissements, et quelques petits reproches qu’un fâcheux souvenir lui a arrachés, il n’y a point de marques d’amitié que je n’en aie reçues, ni aussi de reconnoissance que je ne lui en aie données, et que je ne lui en donne le reste de ma vie. Nous recommençâmes notre commerce la première année de mon exil". L’importance accordée à la parentèle et son désir d’asseoir la notoriété des Rabutin, amène Bussy-Rabutin à s’atteler à des recherches généalogiques. "Dans notre généalogie que j’ai fait mettre au bout de ma galerie de Bussy, voici ce qui est écrit pour vous : ‘Marie de Rabutin, une des plus jolies filles de France, épousa Henri de Sévigné, gentilhomme de Bretagne, ce qui fut une bonne fortune pour lui, à cause du bien et de la personne de la damoiselle’" (À Chaseu, ce 8e décembre 1668).Dans cette même lettre, le seigneur de Chaseu se réjouit du prochain mariage de Mlle de Sévigné "d’autant plus que M. de Grignan est un homme de qualité et de mérite, et qu’il a une charge considérable. Il n’y a qu’une chose qui me fait peur pour la plus jolie fille de France : c’est que Grignan, qui n’est pas vieux, est déjà à sa troisième femme : il en use presque autant que d’habits, ou du moins que de carrosses […]".
Il évoque aussi à plusieurs reprises ses campagnes qu’il entend coucher sur le papier. "Pendant que j’étois dans la Bastille, je me mis dans la tête d’écrire mes campagnes. Il y a trois ans que je trouvai ce travail assez beau pour me convier de l’étendre davantage, et faire ce qu’on appelle des mémoires. Le Roi sait ceci et, que je retourne à la cour ou non, le verra infailliblement. Peut-être que les actions de guerre qui sont diversifiées d’autres événements, et tout cela conté avec des tours assez singuliers, divertira ce grand prince ; tant y a qu’en l’amusant je lui apprendrai, à n’en pouvoir douter, ce que j’ai fait pour son service ; et c’est là mon principal dessein" (À Chaseu, ce 23e février 1671). En novembre 1675, Mlle de Bussy épouse M. de Coligny, et la marquise de Sévigné se félicite de cette union. "Voilà donc le mariage de Mlle de Bussy tout assuré. Savez-vous bien que j’en suis fort aise, et qu’après avoir tant traîné, il nous falloit une conclusion ? J’ai reçu un compliment très-honnête de M. de Coligny. Je vois bien que vous n’avez pas manqué de lui dire que je suis votre aîné, et que mon approbation est une chose qui tout au moins ne lui sauroit faire de mal […]".Le 26 décembre suivant, Bussy brosse un piquant tableau du mariage de sa fille : "Je ne vous ai pu écrire plus tôt, ma belle cousine. Les suites de la noce, qui sont d’ordinaire embarrassantes, m’en ont empêché. Vous m’avez témoigné souhaiter de savoir comment se seroit passée la chose. Le voici. Ce fut à Chaseu, le 5e novembre dernier, où j’ai un des plus beaux salons de France. L’assemblée n’étoit pas grande. Avec les Toulongeons, mes filles de Saint-Julien et de Chaseu, il n’y avoit d’extraordinaire que mes amis Jeannin et le comte d’Épinac. Je leur fis trois jours durant bonne chère. J’avois les officiers de Jeannin avec les miens. Tout le monde fut assez gai, mais la fille de notre très-digne mère étoit transportée de joie, et cela n’étoit troublé que par la peur du nouement d’aiguillette. Il faut dire la vérité. Le lendemain de la noce qu’elle apprit comment les choses s’étoient passées, il n’y eut plus de bornes à sa joie. La pucelle ne fut pas bonnement si emportée que sa grand’mère ; cependant, voyez un peu la dissimulation, elle est grosse […]". Les lettres se succèdent, à intervalles parfois irréguliers, reflétant toujours un attachement et une amitié indéfectibles que le lien familial a consolidés. Le 9 janvier 1676, Bussy-Rabutin lui confie sans détours se faire maréchal in petto : "Quand je vous ai mandé ma lassitude sur le titre de comte, j’ai cru que vous entendriez d’abord la raison que j’avois d’en avoir ; mais puisqu’il vous la faut expliquer, ma chère cousine, je vous dirai que la promotion aux grands honneurs de la guerre qu’on a faite, m’ayant donné meilleure opinion de moi que je n’avois, et que m’étant fait à moi-même la justice qu’on m’avoit refusée, j’ai été honteux de la qualité de comte. En effet, me trouvant, sans vanité, égal en naissance, en capacité, en services, en courage et en esprit aux plus habiles de ces maréchaux et fort au-dessus des autres, je me suis fait maréchal in petto […]". De Livry, le 3 octobre 1678, Mme de Sévigné évoque son installation à l'hôtel Carnavalet : "Je suis venue ici achever les beaux jours, et dire adieu aux feuilles ; elles sont encore toutes aux arbres ; elles n’ont fait que changer de couleur : au lieu d’être vertes elles sont aurores, et de tant de sortes d’aurore, que cela compose un brocart d’or riche et magnifique, que nous voulons trouver plus beau que du vert, quand ce ne seroit que pour changer. Je suis logée à l’hôtel de Carnavalet, C'est une belle et grande maison ; je souhaite d’y être longtemps, car le déménagement m’a beaucoup fatiguée. J’y attends la belle Madelonne, qui sera fort aise de savoir que vous l’aimez toujours. J’ai reçu ici votre lettre de Bussy. Vous me parlez fort bien, en vérité, de Racine et de Despréaux. Le Roi leur dit, il y a quatre jours : ‘ Je suis fâché que vous ne soyez venus à cette dernière campagne : vous auriez vu la guerre, et votre voyage n’eût pas été long. ‘ Racine lui répondit : ‘ Sire, nous sommes deux bourgeois qui n’avons que des habits de ville ; nous en commandâmes de campagne ; mais les places que vous attaquiez furent plus tôt prises que nos habits ne furent faits’ [...]". En janvier 1678 paraît la Princesse de Clèves de Madame de La Fayette que Bussy n'avait pas encore lu. "Mais j’oubliois de vous dire que j’ai enfin lu la Princesse de Clèves avec un esprit d’équité, et point du tout prévenu du bien et du mal qu’on en a écrit. J’ai trouvé la première partie admirable ; la seconde ne m’a pas paru de même. Dans le premier volume, hormis quelques mots trop souvent répétés, qui sont pourtant en petit nombre, tout est agréable, tout est naturel. Dans le second, l’aveu de Mme de Clèves à son mari est extravagant, et ne se peut dire que dans une histoire véritable ; mais quand on en fait une à plaisir, il est ridicule de donner à son héroïne un sentiment si extraordinaire [...]" (À Bussy, le 29 [26] juin 1678). De Paris, le 9 août 1678, la veille de la signature de la paix de Nimégue, la marquise de Sévigné assure que "Tout le monde s’est remis à croire la paix. Le roi de Suède prie le Roi de vouloir bien la faire sans s’attacher davantage à ses intérêts. Les Hollandois se sont chargés de cette négociation ; et cela fait croire que toutes les louanges en vers et en prose qu’on a données au Roi sur cette paix se retrouveront à leur place. Mais que dites-vous de M. d’Albret qui alloit voir amoureusement et nocturnement Mme de Lameth à la campagne ? On l’a pris pour un voleur, on l’a tué sur la place. Voilà une étrange aventure [...]". D'Autun, le 31 décembre 1678 : "Je suis fâché aussi bien que le Roi des excès de la bassette ; car j’aime mon maître, tout maltraité que j’en suis, et j’ai peur que le public n’excuse pas, autant que je fais, la complaisance qui le fait souffrir un si gros jeu. Je ne doute pas de la paix d’Allemagne cet hiver. Nous croyons bien, Mme de Coligny et moi, que la belle Madelonne nous aime en toute saison, quoiqu’elle ne nous l’écrive pas quand il fait grand froid, et vous jugez bien de ce que cela fait sur les cœurs des gens qui ne sont pas ingrats, et qui connoissent combien elle est aimable [...]". Le premier volume s’achève en 1679, année où Bussy est autorisé à revenir à Paris.
De Paris, le 25 août 1679, Mme de Sévigné déplore le décès du cardinal de Retz : "Le récit du procès de ma nièce m’a fait plaisir, et votre rabutinade m’a paru fort bien placée ; je prends une part sensible à tout ce qui la touche et son cher père par conséquent ; mais à la pareille plaignez-moi d’avoir perdu le cardinal de Retz. Vous savez combien il étoit aimable et digne de l’estime de tous ceux qui le connoissoient. J’étois son amie depuis trente ans, et je n’avois jamais reçu que des marques tendres de son amitié. Elle m’étoit également honorable et délicieuse. Il étoit d’un commerce aisé plus que personne du monde. Huit jours de fièvre continue m’ont ôté cet illustre ami. J’en suis touchée jusqu’au fond du cœur.J’ai ouï dire que le tonnerre est tombé tout auprès de vous. Mandez-moi par quel miracle vous avez été conservé, et si l’on continue encore à tourmenter ma pauvre nièce, et à lui disputer son joli enfant [...]". Le second volume débute par une lettre de Mme de Sévigné, de retour aux Rochers après un séjour à Nantes. Cette lettre du 19 juin 1680 a été mal datée par Bussy du 10 janvier 1680. "J’ai été un mois à Nantes pour des affaires. Je ne suis ici en repos que depuis quinze jours […] Je suis ici dans une fort grande solitude et pour n’y être pas accoutumée je m’y accoutume assez bien. C’est une consolation que de lire. J’ai ici une petite bibliothèque qui seroit digne de vous ; mais vous seriez bien digne de moi ; et si nous étions voisins, nous ferions un grand commerce de nos esprits et de nos lectures […]".Six feuillets, relatifs au procès intenté par Bussy pour essayer de faire annuler le second mariage de sa fille avec M. de La Rivière, ont été anciennement découpés. Sans doute fallait-il dissimuler ce fâcheux incident qui aurait pu ternir l'image des Rabutin. Le 14 mai 1686, Mme de Sévigné se félicite que son cousin ait pris la défense d’Isaac de Benserade et de Jean de La Fontaine, dont les œuvres avaient été violemment dénigrées dans un pamphlet signé par Antoine Furetière. "Tous vos plaisirs, vos amusements, vos tromperies, vos lettres et vos vers, m’ont donné une véritable joie, et surtout ce que vous écrivez pour défendre Benserade et La Fontaine contre ce vilain factum. Je l’avais déjà fait en basse note à tous ceux qui voulaient louer cette noire satire. Je trouve que l’auteur fait voir clairement qu’il n’est ni du monde, ni de la cour, et que son goût est d’une pédanterie qu’on ne peut pas même espérer de corriger. Il y a de certaines choses qu’on n’entend jamais quand on ne les entend pas d’abord : on ne fait point entrer certains esprits durs et farouches dans le charme et dans la facilité des ballets de Benserade, et des fables de La Fontaine : cette porte leur est fermée […]".
La dernière lettre de Bussy-Rabutin est écrite de Chaseu le 17 avril 1692. "J’irai cet automne à Fontainebleau et de là à Paris, quand vous seriez encore en Provence. Jugez, ma chère cousine, si le plaisir de vous voir me fera changer de dessein. J’en meurs d’envie ; j’ai mille choses à vous dire et vous montrer. En attendant je vous dirai que je viens de faire une version du cantique de Pâques, O filii et filiae, car je ne suis pas toujours profane [… ]".Bussy-Rabutin meurt le 9 avril 1693 à Autun ; il est enterré en l’église Notre-Dame, aujourd'hui détruite. Les autres manuscrits connus.Il existe quelques manuscrits de la correspondance de Bussy-Rabutin conservant des lettres à Mme de Sévigné, ainsi qu'à d'autres correspondants, conservés dans les collections publiques. Le premier, intitulé Suitte des Mémoires du comte de Bussy, composé de trois volumes autographes de la correspondance active et passive, avec des notes et corrections du P. Bouhours (du 10 janvier 1677 à fin décembre 1686), est conservé à la Bibliothèque nationale de France (manuscrits fonds français, 10334, 10335 et 10336). Un autre manuscrit conservé à la BnF contient des copies de quelques lettres (Nouvelles acquisitions françaises 4984). Parmi les autres sources manuscrites, citons deux copies de quelques extraits de la correspondance de Bussy à Mme de Sévigné, l’un est conservé à la BnF (manuscrits fonds français 15182) et un autre provenant de la bibliothèque des ducs de Luynes. Enfin, le manuscrit autographe conservé à la bibliothèque de l’Institut (mss 700 réserve) comprenant la correspondance de Bussy du 6 janvier 1673 au 6 octobre 1676.Notre manuscrit provient de la famille de Laguiche qui avait hérité de Mme de Coligny et qui conservait, au château de Chaumont (Saône-et-Loire), plusieurs manuscrits de la correspondance de leur illustre ancêtre. Parmi eux un manuscrit incomplet, vraisemblablement de la main du marquis de Langeac, petit-fils de l’épistolier, composé de trois tomes dont un perdu (Les Mémoires du comte de Bussy) et une autre copie autographe renfermant la correspondance du 1er janvier 1677 à fin avril 1679.Le présent manuscrit contient quant à lui "à peu près toutes les lettres des deux cousins copiés de la main de Bussy." (Madame de Sévigné, Correspondance, Pléiade, p. 823). Il a été vraisemblablement colligé par Bussy "en songeant, sinon à une édition, du moins à un public d’amis choisi, et qu’il a, en conséquence apporté maintes corrections à ses lettres et à celles de sa correspondante. Cette source n’est pas moins précieuse, puisqu’elle est la seule à donner l’ensemble des lettres des deux cousins" (op. cit, p. 823).Plusieurs parties sont illisibles, et plusieurs passages ou lettres absents de la première édition donnée à Paris, chez Florentin et Pierre Delaulne, en 1697, sont biffés. Des corrections faites par la marquise de Coligny ont été reprises dans des éditions postérieures.
Importance des lettres de Bussy-Rabutin dans la correspondance de Mme de Sévigné.Les lettres de Bussy-Rabutin occupent une place importante dans la correspondance de Mme de Sévigné et ce manuscrit, soigneusement conservé jusqu’à ce jour au château de Chaumont par les descendants de Mme de Coligny, a été une source importante pour l’édition de ces lettres publiées pour la première fois par Louis Monmerqué (Paris, Blaise, 1818). Son étude savante, la première consacrée à cette mythique correspondance, relève soigneusement les variantes et retranchements, hormis quelques rares omissions et erreurs de transcriptions, par rapport au manuscrit, non exhaustif, conservé à la bibliothèque de l’Institut (Suite des mémoires du comte de Rabutin, réserve, mss 700), établi par Bussy à l’intention de Louis XIV. Monmerqué s’attache à rétablir également les datations qui parfois diffèrent dans les deux manuscrits.Notre manuscrit présente en effet quelques entorses à la chronologie. Les passages biffés figurent bien dans l’édition de Monmerqué ainsi que dans la correspondance de Mme de Sévigné publiée dans la bibliothèque de la Pléiade sous la direction de Roger Duchêne. Notons aussi que quelques lettres de ce manuscrit ne figurent pas dans le manuscrit de l’Institut (entre autres celles de Mme de Sévigné du 20 octobre 1675, de Bussy-Rabutin à sa cousine du 26 décembre 1675 et celle de Mme de Sévigné à son cousin du 25 mai 1676). On relève en outre quelques variantes par rapport au manuscrit de l’Institut, notamment dans la lettre du 15 juillet 1675. "Ce morceau est tout différent dans le manuscrit de l’Institut. On peut croire que Bussy l’avait développé après coup, pour flatter le Roi à qui il désirait faire lire ses Mémoires : 'Vous savez, je crois, Madame, que le Roi vouloit défendre en personne les lignes de Limbourg, si le prince d’Orange se fût mis en devoir de le secourir. Ne trouvez-vous pas cela beau ? Pour moi, j’en suis charmé ; car enfin ce n’est point un Roi à qui l’on dispute sa couronne : c’est le seul amour de la gloire qui lui fait hasarder sa vie'" (L. Monmerqué, III, p. 417).Enfin, quelques lettres ont été tronquées et quelques ajouts n’ont pas été repris dans l’édition de la Pléiade. Le manuscrit présente aussi plusieurs annotations, ajouts et repentirs parfois de la main de Mme de Coligny et d’une autre main non identifiée. Quelques brefs commentaires "ouy" ou "non" émaillent les marges, signes probables d’approbation ou de censure pour une éventuelle publication.
Cette correspondance de quarante six années, livre une biographie de l’épistolier fourmillant de détails et d’anecdotes. "En proposant à un large public des lettres ou des morceaux choisis, le procédé des héritiers de Bussy a contribué à maintenir vivace l’esprit du rabutinage, où une liberté maîtrisée d’écriture suscite le plaisir de la lecture" (Christophe Blanquie, De l'œuvre aux lettres, p. 4.)
Ce manuscrit, selon Roger Duchêne, est "la seule source à donner l'ensemble des lettres des deux cousins" (Correspondance, Pléiade, I, p. 823).
Nous tenons à remercier vivement M. Christophe Blanquie (Centre de recherches historiques, Paris) pour la révision de cette notice et son aide précieuse.
Bussy-Rabutin, Roger deCopie autographe de sa correspondance croisée, et de celle de sa fille, avec Mme de Sévigné, Mme de Grignan et quelques-uns de leurs amis.[Commencée entre novembre 1675 et 1676 - Complétée et reliée après sa mort, survenue le 9 avril 1693. Les deux dernières lettres ont été retranscrites par son petit-fils, Marie Roger de Langeac]. Très importante correspondance active et passive, et de celle de sa fille, Mme de Coligny, avec Mme de Sévigné sa "belle cousine", Mme de Grignan et Jean Corbinelli.414 feuillets. Encre brune sur papier. Nombreux passages biffés, ajouts dans les marges, repentirs, certains de la main de Mme de Coligny, d’autres d’une main non identifiée.Relié en 2 volumes in-folio (284 x 200 mm). Maroquin rouge, filet doré en encadrement, armes dorées au centre des plats, dos à nerfs orné de fers dorés, roulette intérieure, tranches dorées (Reliure du XVIIIe siècle). Collation :Tome I : 178 lettres du 25 mars 1646 au 27 octobre 1679. 2 feuillets blancs, un feuillet (À la marquise de Colligny), un feuillet blanc, 226 feuillets et 1 feuillet blanc.Tome II : environ 110 lettres du 10 janvier 1680 au 31 octobre 1692. 2 feuillets blancs, 188 feuillets (les deux derniers de la main du petit-fils de Bussy-Rabutin) et 31 feuillets laissés vierges.
Exceptionnel manuscrit réalisé par Bussy-Rabutin à la demande de sa fille, Louise-Françoise de Rabutin, alors marquise de Coligny.
Conscient de la valeur littéraire des lettres de sa cousine, Bussy-Rabutin s'en fait le gardien et en quelque sorte le premier "éditeur". Ce précieux recueil servit à l'édition de référence de la correspondance de Mme de Sévigné donnée par Louis Monmerqué en 1818.
Relié aux armes Langeac, très probablement pour Marie Roger de Langeac, petit-fils de Bussy-Rabutin.
Deux épistoliers invétérés, "deux vrais Rabutin, nés l'un pour l'autre" (lettre de Mme Sévigné et Corbinelli à Bussy-Rabutin, le 17 juin 1670). Bussy-Rabutin débute son manuscrit par une épître dédicatoire à sa fille, marquise de Coligny, que : "Vous avez souhaité, ma chère fille, que je vous donnasse un recueil de ce que nous nous sommes écrit, votre tante de Sévigné et moi. J’approuve votre désir, et je loue votre bon goût : rien n’est plus beau que les lettres de Madame de Sévigné ; l’agréable, le badin et le sérieux y sont admirables ; on dirait qu’elle est née pour chacun de ces caractères […] Pour ce qui est dans ce recueil, ma chère fille, je n’en parlerai point ; je hais les airs de vanité et encore plus ceux d’une fausse modestie […] Tous les gens délicats auraient du plaisir à le lire, si on le voyait de notre temps […]".
Bussy s'attèle donc à ce recueil entre novembre 1675 et juillet 1676, puisque sa fille, Louise-Françoise de Rabutin épouse, en novembre 1675, Gilbert Alyre de Langeac, comte de Dalet, marquis de Coligny, qui meurt en 1676. Veuve, elle porte le titre de comtesse de Dalet. En juin 1681, enceinte, elle épouse clandestinement Henri-François de la Rivière. Furieux, Bussy-Rabyutin mettra tout en œuvre pour faire annuler, en vain, ce mariage.
Afin de perpétuer la mémoire de cette correspondance familiale active et passive, Bussy-Rabutin s’est appliqué à colliger, depuis son exil bourguignon, ces quelque 300 lettres.
Le recueil s’ouvre sur une lettre de mars 1646 et s’achève le 31 octobre 1692, six mois avant la mort du Bourguignon. Les deux dernières lettres ont été recopiées par le marquis de Langeac, son petit-fils. Chaque lettre est précédée de quelques mots introductifs replaçant la lettre dans son contexte et permettant ainsi une lecture plus fluide et dynamique. Les lettres sont séparées les unes des autres par une fermesse. Ce long commerce épistolaire entre les deux cousins (Bussy-Rabutin était le cousin issu de germain de Celse-Bénigne de Rabutin-Chantal, père de Mme de Sévigné), auquel s’invitèrent leurs filles "hors de pair", Mme de Grignan et Mlle de Bussy ainsi que le fidèle Jean Corbinelli, un temps secrétaire de Bussy-Rabutin, est "un lieu privilégié dans la constitution du rabutinage. On ne fait pas qu'y reconnaître l'existence d'un lien de parenté singulier. On l'active, on l'élabore et on le cultive. En effet, quoique cousins, le comte et la marquise auraient pu s'ignorer. Au contraire, et en dépit de quelques périodes conflictuelles, ils entretiennent la solidarité, la connivence et la communauté familiales. À cet effet, Sévigné et Bussy-Rabutin forment un groupe élargi d'épistoliers, qui constitue une société virtuelle, mobile et essentiellement familiale : la marquise, le comte, leurs filles, et Corbinelli qui ne manque pas d'apporter à ses compagnons l'assurance du bien-fondé de leur relation" (Yohann Deguin). "Je vous aimais toute ma vie, ma chère cousine, et nos petites brouilleries même n’ont pas été une marque que vous me fussiez indifférente […] Que ferais-je au monde sans vous, ma pauvre chère cousine ? Avec qui pourrais-je rire ? Avec qui pourrais-je avoir de l’esprit ? En qui aurais-je une entière confiance d’être aimé ? " (Bussy-Rabutin à Mme de Sévigné, à Chaseu le 5 novembre 1687). Cette gazette familiale, précieux témoignage du règne de Louis XIV, oscille entre badinages, brouilles et réconciliations, nouvelles familiales : mariages de Mlle de Bussy et de Mlle de Grignan, procès qui oppose Bussy-Rabutin à François de la Rivière, son gendre et second mari de sa fille et dont il tente d’annuler le mariage, événements historiques (les déboires de Fouquet notamment), campagnes et combats auxquels participe Bussy-Rabutin (la Fronde, la campagne d’Artois, le combat de Valencienne, les campagnes dans les Flandres sous les ordres de Turenne et en Catalogne sous les ordres du prince de Conti, la guerre de Hollande, etc.), sans oublier les bavardages incessants sur la cour et le monde littéraire, les travaux entrepris à Bussy et à Chaseu, La Princesse de Clèves qu’il a enfin lu, etc.Les liens du sang, les questions généalogiques et la mémoire familiale y tiennent une place prépondérante. Bussy est désireux d’asseoir leur lignage et le prestige de leur famille. "Nous sommes proches, et de même sang ; nous nous plaisons, nous nous aimons, nous prenons intérêt dans nos fortunes […]" (Mme de Sévigné à son cousin, Paris, 26 juillet 1668).Les deux cousins égratignent à loisir leur tante, Mme de Toulongeon, sorte de souffre-douleur qu’ils affublent tour à tour d’épithètes peu amènes. "Il est vrai que Mme de Toulongeon est incompréhensible par son avidité pour le bien. Il est vrai aussi que j'ai remarqué́ que Dieu n'attend pas à l'en punir en l'autre monde ; elle en souffre souvent dès celui-ci, et c'est elle qui m'a fait trouver que l'extrême avarice était l'extrême prodigalité […]" (Bussy-Rabutin à Mme de Sévigné le 16 octobre 1677).
Une gazette familiale. "L'écriture de l’événement familial chez Sévigné et Bussy-Rabutin est essentiellement motivée par des intérêts communs. Il s'agit d'un dialogue qui vient conforter les épistoliers dans leur position sociale et mondaine, en choisissant, pour l’affirmer, le bastion de la famille" (Yohann Deguin). De 1646 à 1666, les lettres témoignent de la carrière militaire de Bussy-Rabutin qui, à la mort de son père l’année précédente, lui succède dans la charge de lieutenant du roi en Nivernais. Il fait campagne sous Turenne puis sert le prince de Condé. "Je me suis enfin déclaré : je vous l’avois bien dit, ma belle cousine ce n’a pas été sans de grandes répugnances ; car je sers contre mon Roi un prince qui ne m’aime pas. Il est vrai que l’état ou il est me fait pitié ; je le servirai donc pendant sa prison comme s’il m’aimoit, et s’il en sort jamais, je lui remettrai sa lieutenance, et je le quitterai aussitôt […]" (Au camp de Montrond, ce 2e juillet 1650). Après une brouille de quelques mois entre les deux cousins, ce n’est qu’en 1666, lors de sa première année d’exil en Bourgogne, à la suite du scandale provoqué par la publication de son roman pamphlétaire, l'Histoire amoureuse des Gaules, que Bussy-Rabutin reprend sa plume. Il précise, en tête de la lettre écrite de Forléans le 21 novembre 1666 "depuis ce temps-là, qui a été celui de ma disgrâce, elle s’est réchauffée pour moi, et hors quelques éclaircissements, et quelques petits reproches qu’un fâcheux souvenir lui a arrachés, il n’y a point de marques d’amitié que je n’en aie reçues, ni aussi de reconnoissance que je ne lui en aie données, et que je ne lui en donne le reste de ma vie. Nous recommençâmes notre commerce la première année de mon exil". L’importance accordée à la parentèle et son désir d’asseoir la notoriété des Rabutin, amène Bussy-Rabutin à s’atteler à des recherches généalogiques. "Dans notre généalogie que j’ai fait mettre au bout de ma galerie de Bussy, voici ce qui est écrit pour vous : ‘Marie de Rabutin, une des plus jolies filles de France, épousa Henri de Sévigné, gentilhomme de Bretagne, ce qui fut une bonne fortune pour lui, à cause du bien et de la personne de la damoiselle’" (À Chaseu, ce 8e décembre 1668).Dans cette même lettre, le seigneur de Chaseu se réjouit du prochain mariage de Mlle de Sévigné "d’autant plus que M. de Grignan est un homme de qualité et de mérite, et qu’il a une charge considérable. Il n’y a qu’une chose qui me fait peur pour la plus jolie fille de France : c’est que Grignan, qui n’est pas vieux, est déjà à sa troisième femme : il en use presque autant que d’habits, ou du moins que de carrosses […]".
Il évoque aussi à plusieurs reprises ses campagnes qu’il entend coucher sur le papier. "Pendant que j’étois dans la Bastille, je me mis dans la tête d’écrire mes campagnes. Il y a trois ans que je trouvai ce travail assez beau pour me convier de l’étendre davantage, et faire ce qu’on appelle des mémoires. Le Roi sait ceci et, que je retourne à la cour ou non, le verra infailliblement. Peut-être que les actions de guerre qui sont diversifiées d’autres événements, et tout cela conté avec des tours assez singuliers, divertira ce grand prince ; tant y a qu’en l’amusant je lui apprendrai, à n’en pouvoir douter, ce que j’ai fait pour son service ; et c’est là mon principal dessein" (À Chaseu, ce 23e février 1671). En novembre 1675, Mlle de Bussy épouse M. de Coligny, et la marquise de Sévigné se félicite de cette union. "Voilà donc le mariage de Mlle de Bussy tout assuré. Savez-vous bien que j’en suis fort aise, et qu’après avoir tant traîné, il nous falloit une conclusion ? J’ai reçu un compliment très-honnête de M. de Coligny. Je vois bien que vous n’avez pas manqué de lui dire que je suis votre aîné, et que mon approbation est une chose qui tout au moins ne lui sauroit faire de mal […]".Le 26 décembre suivant, Bussy brosse un piquant tableau du mariage de sa fille : "Je ne vous ai pu écrire plus tôt, ma belle cousine. Les suites de la noce, qui sont d’ordinaire embarrassantes, m’en ont empêché. Vous m’avez témoigné souhaiter de savoir comment se seroit passée la chose. Le voici. Ce fut à Chaseu, le 5e novembre dernier, où j’ai un des plus beaux salons de France. L’assemblée n’étoit pas grande. Avec les Toulongeons, mes filles de Saint-Julien et de Chaseu, il n’y avoit d’extraordinaire que mes amis Jeannin et le comte d’Épinac. Je leur fis trois jours durant bonne chère. J’avois les officiers de Jeannin avec les miens. Tout le monde fut assez gai, mais la fille de notre très-digne mère étoit transportée de joie, et cela n’étoit troublé que par la peur du nouement d’aiguillette. Il faut dire la vérité. Le lendemain de la noce qu’elle apprit comment les choses s’étoient passées, il n’y eut plus de bornes à sa joie. La pucelle ne fut pas bonnement si emportée que sa grand’mère ; cependant, voyez un peu la dissimulation, elle est grosse […]". Les lettres se succèdent, à intervalles parfois irréguliers, reflétant toujours un attachement et une amitié indéfectibles que le lien familial a consolidés. Le 9 janvier 1676, Bussy-Rabutin lui confie sans détours se faire maréchal in petto : "Quand je vous ai mandé ma lassitude sur le titre de comte, j’ai cru que vous entendriez d’abord la raison que j’avois d’en avoir ; mais puisqu’il vous la faut expliquer, ma chère cousine, je vous dirai que la promotion aux grands honneurs de la guerre qu’on a faite, m’ayant donné meilleure opinion de moi que je n’avois, et que m’étant fait à moi-même la justice qu’on m’avoit refusée, j’ai été honteux de la qualité de comte. En effet, me trouvant, sans vanité, égal en naissance, en capacité, en services, en courage et en esprit aux plus habiles de ces maréchaux et fort au-dessus des autres, je me suis fait maréchal in petto […]". De Livry, le 3 octobre 1678, Mme de Sévigné évoque son installation à l'hôtel Carnavalet : "Je suis venue ici achever les beaux jours, et dire adieu aux feuilles ; elles sont encore toutes aux arbres ; elles n’ont fait que changer de couleur : au lieu d’être vertes elles sont aurores, et de tant de sortes d’aurore, que cela compose un brocart d’or riche et magnifique, que nous voulons trouver plus beau que du vert, quand ce ne seroit que pour changer. Je suis logée à l’hôtel de Carnavalet, C'est une belle et grande maison ; je souhaite d’y être longtemps, car le déménagement m’a beaucoup fatiguée. J’y attends la belle Madelonne, qui sera fort aise de savoir que vous l’aimez toujours. J’ai reçu ici votre lettre de Bussy. Vous me parlez fort bien, en vérité, de Racine et de Despréaux. Le Roi leur dit, il y a quatre jours : ‘ Je suis fâché que vous ne soyez venus à cette dernière campagne : vous auriez vu la guerre, et votre voyage n’eût pas été long. ‘ Racine lui répondit : ‘ Sire, nous sommes deux bourgeois qui n’avons que des habits de ville ; nous en commandâmes de campagne ; mais les places que vous attaquiez furent plus tôt prises que nos habits ne furent faits’ [...]". En janvier 1678 paraît la Princesse de Clèves de Madame de La Fayette que Bussy n'avait pas encore lu. "Mais j’oubliois de vous dire que j’ai enfin lu la Princesse de Clèves avec un esprit d’équité, et point du tout prévenu du bien et du mal qu’on en a écrit. J’ai trouvé la première partie admirable ; la seconde ne m’a pas paru de même. Dans le premier volume, hormis quelques mots trop souvent répétés, qui sont pourtant en petit nombre, tout est agréable, tout est naturel. Dans le second, l’aveu de Mme de Clèves à son mari est extravagant, et ne se peut dire que dans une histoire véritable ; mais quand on en fait une à plaisir, il est ridicule de donner à son héroïne un sentiment si extraordinaire [...]" (À Bussy, le 29 [26] juin 1678). De Paris, le 9 août 1678, la veille de la signature de la paix de Nimégue, la marquise de Sévigné assure que "Tout le monde s’est remis à croire la paix. Le roi de Suède prie le Roi de vouloir bien la faire sans s’attacher davantage à ses intérêts. Les Hollandois se sont chargés de cette négociation ; et cela fait croire que toutes les louanges en vers et en prose qu’on a données au Roi sur cette paix se retrouveront à leur place. Mais que dites-vous de M. d’Albret qui alloit voir amoureusement et nocturnement Mme de Lameth à la campagne ? On l’a pris pour un voleur, on l’a tué sur la place. Voilà une étrange aventure [...]". D'Autun, le 31 décembre 1678 : "Je suis fâché aussi bien que le Roi des excès de la bassette ; car j’aime mon maître, tout maltraité que j’en suis, et j’ai peur que le public n’excuse pas, autant que je fais, la complaisance qui le fait souffrir un si gros jeu. Je ne doute pas de la paix d’Allemagne cet hiver. Nous croyons bien, Mme de Coligny et moi, que la belle Madelonne nous aime en toute saison, quoiqu’elle ne nous l’écrive pas quand il fait grand froid, et vous jugez bien de ce que cela fait sur les cœurs des gens qui ne sont pas ingrats, et qui connoissent combien elle est aimable [...]". Le premier volume s’achève en 1679, année où Bussy est autorisé à revenir à Paris.
De Paris, le 25 août 1679, Mme de Sévigné déplore le décès du cardinal de Retz : "Le récit du procès de ma nièce m’a fait plaisir, et votre rabutinade m’a paru fort bien placée ; je prends une part sensible à tout ce qui la touche et son cher père par conséquent ; mais à la pareille plaignez-moi d’avoir perdu le cardinal de Retz. Vous savez combien il étoit aimable et digne de l’estime de tous ceux qui le connoissoient. J’étois son amie depuis trente ans, et je n’avois jamais reçu que des marques tendres de son amitié. Elle m’étoit également honorable et délicieuse. Il étoit d’un commerce aisé plus que personne du monde. Huit jours de fièvre continue m’ont ôté cet illustre ami. J’en suis touchée jusqu’au fond du cœur.J’ai ouï dire que le tonnerre est tombé tout auprès de vous. Mandez-moi par quel miracle vous avez été conservé, et si l’on continue encore à tourmenter ma pauvre nièce, et à lui disputer son joli enfant [...]". Le second volume débute par une lettre de Mme de Sévigné, de retour aux Rochers après un séjour à Nantes. Cette lettre du 19 juin 1680 a été mal datée par Bussy du 10 janvier 1680. "J’ai été un mois à Nantes pour des affaires. Je ne suis ici en repos que depuis quinze jours […] Je suis ici dans une fort grande solitude et pour n’y être pas accoutumée je m’y accoutume assez bien. C’est une consolation que de lire. J’ai ici une petite bibliothèque qui seroit digne de vous ; mais vous seriez bien digne de moi ; et si nous étions voisins, nous ferions un grand commerce de nos esprits et de nos lectures […]".Six feuillets, relatifs au procès intenté par Bussy pour essayer de faire annuler le second mariage de sa fille avec M. de La Rivière, ont été anciennement découpés. Sans doute fallait-il dissimuler ce fâcheux incident qui aurait pu ternir l'image des Rabutin. Le 14 mai 1686, Mme de Sévigné se félicite que son cousin ait pris la défense d’Isaac de Benserade et de Jean de La Fontaine, dont les œuvres avaient été violemment dénigrées dans un pamphlet signé par Antoine Furetière. "Tous vos plaisirs, vos amusements, vos tromperies, vos lettres et vos vers, m’ont donné une véritable joie, et surtout ce que vous écrivez pour défendre Benserade et La Fontaine contre ce vilain factum. Je l’avais déjà fait en basse note à tous ceux qui voulaient louer cette noire satire. Je trouve que l’auteur fait voir clairement qu’il n’est ni du monde, ni de la cour, et que son goût est d’une pédanterie qu’on ne peut pas même espérer de corriger. Il y a de certaines choses qu’on n’entend jamais quand on ne les entend pas d’abord : on ne fait point entrer certains esprits durs et farouches dans le charme et dans la facilité des ballets de Benserade, et des fables de La Fontaine : cette porte leur est fermée […]".
La dernière lettre de Bussy-Rabutin est écrite de Chaseu le 17 avril 1692. "J’irai cet automne à Fontainebleau et de là à Paris, quand vous seriez encore en Provence. Jugez, ma chère cousine, si le plaisir de vous voir me fera changer de dessein. J’en meurs d’envie ; j’ai mille choses à vous dire et vous montrer. En attendant je vous dirai que je viens de faire une version du cantique de Pâques, O filii et filiae, car je ne suis pas toujours profane [… ]".Bussy-Rabutin meurt le 9 avril 1693 à Autun ; il est enterré en l’église Notre-Dame, aujourd'hui détruite. Les autres manuscrits connus.Il existe quelques manuscrits de la correspondance de Bussy-Rabutin conservant des lettres à Mme de Sévigné, ainsi qu'à d'autres correspondants, conservés dans les collections publiques. Le premier, intitulé Suitte des Mémoires du comte de Bussy, composé de trois volumes autographes de la correspondance active et passive, avec des notes et corrections du P. Bouhours (du 10 janvier 1677 à fin décembre 1686), est conservé à la Bibliothèque nationale de France (manuscrits fonds français, 10334, 10335 et 10336). Un autre manuscrit conservé à la BnF contient des copies de quelques lettres (Nouvelles acquisitions françaises 4984). Parmi les autres sources manuscrites, citons deux copies de quelques extraits de la correspondance de Bussy à Mme de Sévigné, l’un est conservé à la BnF (manuscrits fonds français 15182) et un autre provenant de la bibliothèque des ducs de Luynes. Enfin, le manuscrit autographe conservé à la bibliothèque de l’Institut (mss 700 réserve) comprenant la correspondance de Bussy du 6 janvier 1673 au 6 octobre 1676.Notre manuscrit provient de la famille de Laguiche qui avait hérité de Mme de Coligny et qui conservait, au château de Chaumont (Saône-et-Loire), plusieurs manuscrits de la correspondance de leur illustre ancêtre. Parmi eux un manuscrit incomplet, vraisemblablement de la main du marquis de Langeac, petit-fils de l’épistolier, composé de trois tomes dont un perdu (Les Mémoires du comte de Bussy) et une autre copie autographe renfermant la correspondance du 1er janvier 1677 à fin avril 1679.Le présent manuscrit contient quant à lui "à peu près toutes les lettres des deux cousins copiés de la main de Bussy." (Madame de Sévigné, Correspondance, Pléiade, p. 823). Il a été vraisemblablement colligé par Bussy "en songeant, sinon à une édition, du moins à un public d’amis choisi, et qu’il a, en conséquence apporté maintes corrections à ses lettres et à celles de sa correspondante. Cette source n’est pas moins précieuse, puisqu’elle est la seule à donner l’ensemble des lettres des deux cousins" (op. cit, p. 823).Plusieurs parties sont illisibles, et plusieurs passages ou lettres absents de la première édition donnée à Paris, chez Florentin et Pierre Delaulne, en 1697, sont biffés. Des corrections faites par la marquise de Coligny ont été reprises dans des éditions postérieures.
Importance des lettres de Bussy-Rabutin dans la correspondance de Mme de Sévigné.Les lettres de Bussy-Rabutin occupent une place importante dans la correspondance de Mme de Sévigné et ce manuscrit, soigneusement conservé jusqu’à ce jour au château de Chaumont par les descendants de Mme de Coligny, a été une source importante pour l’édition de ces lettres publiées pour la première fois par Louis Monmerqué (Paris, Blaise, 1818). Son étude savante, la première consacrée à cette mythique correspondance, relève soigneusement les variantes et retranchements, hormis quelques rares omissions et erreurs de transcriptions, par rapport au manuscrit, non exhaustif, conservé à la bibliothèque de l’Institut (Suite des mémoires du comte de Rabutin, réserve, mss 700), établi par Bussy à l’intention de Louis XIV. Monmerqué s’attache à rétablir également les datations qui parfois diffèrent dans les deux manuscrits.Notre manuscrit présente en effet quelques entorses à la chronologie. Les passages biffés figurent bien dans l’édition de Monmerqué ainsi que dans la correspondance de Mme de Sévigné publiée dans la bibliothèque de la Pléiade sous la direction de Roger Duchêne. Notons aussi que quelques lettres de ce manuscrit ne figurent pas dans le manuscrit de l’Institut (entre autres celles de Mme de Sévigné du 20 octobre 1675, de Bussy-Rabutin à sa cousine du 26 décembre 1675 et celle de Mme de Sévigné à son cousin du 25 mai 1676). On relève en outre quelques variantes par rapport au manuscrit de l’Institut, notamment dans la lettre du 15 juillet 1675. "Ce morceau est tout différent dans le manuscrit de l’Institut. On peut croire que Bussy l’avait développé après coup, pour flatter le Roi à qui il désirait faire lire ses Mémoires : 'Vous savez, je crois, Madame, que le Roi vouloit défendre en personne les lignes de Limbourg, si le prince d’Orange se fût mis en devoir de le secourir. Ne trouvez-vous pas cela beau ? Pour moi, j’en suis charmé ; car enfin ce n’est point un Roi à qui l’on dispute sa couronne : c’est le seul amour de la gloire qui lui fait hasarder sa vie'" (L. Monmerqué, III, p. 417).Enfin, quelques lettres ont été tronquées et quelques ajouts n’ont pas été repris dans l’édition de la Pléiade. Le manuscrit présente aussi plusieurs annotations, ajouts et repentirs parfois de la main de Mme de Coligny et d’une autre main non identifiée. Quelques brefs commentaires "ouy" ou "non" émaillent les marges, signes probables d’approbation ou de censure pour une éventuelle publication.
Cette correspondance de quarante six années, livre une biographie de l’épistolier fourmillant de détails et d’anecdotes. "En proposant à un large public des lettres ou des morceaux choisis, le procédé des héritiers de Bussy a contribué à maintenir vivace l’esprit du rabutinage, où une liberté maîtrisée d’écriture suscite le plaisir de la lecture" (Christophe Blanquie, De l'œuvre aux lettres, p. 4.)
Ce manuscrit, selon Roger Duchêne, est "la seule source à donner l'ensemble des lettres des deux cousins" (Correspondance, Pléiade, I, p. 823).
Nous tenons à remercier vivement M. Christophe Blanquie (Centre de recherches historiques, Paris) pour la révision de cette notice et son aide précieuse.
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